L’éco-anxiété: fléau ou joyau?
Lorsque survient une situation de crise, cela crée un sentiment d’inconfort en nous. Ce n’est pas un problème en soi que d’éprouver un certain niveau de stress, voire d’anxiété en de telles occasions. Il s’agit d’un mécanisme tout à fait normal, non seulement cela, il est même nécessaire. Ce que l’on ressent dans ces moments-là c’est de la peur.
Mais cette peur, qu’est-elle réellement, sinon qu’une pulsion profonde, qui nous démontre que l’on est bel et bien en vie, et qui, face au danger, nous pousse à réagir afin de le demeurer? Owen Gaffney, auteur émérite paru dans de multiples revues à caractère scientifiques, déclarait à juste titre que « l’éco-anxiété est la réponse adaptée à la taille du défi » (1). Il faut parvenir à canaliser toute cette énergie sous haute tension qui nous habite, afin de s’en servir tel un puissant outil. Cette crainte peut être un redoutable vecteur de changement dont il faut faire bon usage.
I’d kind of wonder why somebody wasn’t feeling anxious. »
-Caroline Hickman (Psychothérapeute, thérapeute et chercheur en psychologie climatique)
Le stress peut mener initialement à deux types de réactions, la fuite ou la lutte. L’agent stresseur actuel on ne peut s’en sauver, du fait de son omniprésence. Il devient alors d’autant plus crucial de ne pas se laisser paralyser par l’accumulation d’un excès de tension. Il faut plutôt s’engager dans une démarche active, dans l’optique de faire face à la menace et de laisser s’échapper cette douloureuse pression interne. Susan M Koger, qui enseigne la psychologie à l’université Willamette en Oregon explique qu’il faut éviter d’être figé par la peur et transformer cette sensation de culpabilité en un sentiment de responsabilité qui, lui, est source de motivation (2). Elise Amel, spécialiste en éco-psychologie, affirme que « Les gens qui agissent ont un sentiment de contrôle et le fait d’agir avec d’autres permet d’alléger le fardeau émotionnel » (3).
En psychologie, on évoque fréquemment le concept d’« empowerment » pour désigner cet état de contrôle sur soi et son environnement. Ce terme fait référence au développement du pouvoir d’agir d’un individu par le biais d’actions concrètes. Le sentiment de capacité personnelle est essentiel au bien-être d’une personne. Il est impératif de redonner une sensation de puissance à ceux qui se sentent démunis face à l’immensité de la tâche qu’il nous incombe d’accomplir pour préserver la vie telle qu’on la connait. Ce défi devra être relevé collectivement.
Il est derrière nous le temps où les simples actions individuelles pouvaient encore sauver le monde. Loin de moi l’idée de condamner tout geste de cet ordre, car ceux-ci font indéniablement partie de la solution. Nous devons cependant mettre un terme à cette autoflagellation que l’on s’inflige perpétuellement et retirer de nos épaules cette charge morale qui nous empêche d’exiger les changements majeurs qui s’imposent. La responsabilité de la crise environnementale incombe en majeure partie à une petite élite dont la prospérité repose sur le système économique en place, et qui ne rêve plus de rien hormis du statu quo. Entre 1988 et 2016, 100 entreprises furent à l’origine de plus de 70% de toutes les émissions de GES sur la planète. De leur côté, 25 entreprises productrices de combustibles fossiles ont généré, à elles seules, plus de la moitié des émissions à l’échelle mondiale entre 1988 et 2015 (4). C’est par l’action collective que nous parviendrons à faire de réelles avancées, et par la force du nombre que nous pourrons faire contrepoids à ces seigneurs destructeurs et moralisateurs.
Il ne faudrait pas ex-aspérer, il faudrait espérer. L’exaspération est un déni de l’espoir. Elle est compréhensible, je dirais presque qu’elle est naturelle, mais pour autant elle n’est pas acceptable. Parce qu’elle ne permet pas d’obtenir les résultats que peut éventuellement produire l’espérance. »
-Stéphane Hessel
Il est primordial de cesser de stigmatiser les personnes qui font de l’éco-anxiété afin de lutter tous ensemble contre la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité. Nous sommes au cœur d’une décennie déterminante pour la vie sur Terre. Alors que nombreux sont ceux qui font du déni et qui ferment les yeux sur la montagne d’évidences relatives à la gravité de l’urgence environnementale, les personnes dites « éco-anxieuses » réagissent simplement à la situation pour le moins stressante qui se dresse devant leurs yeux grands ouverts. Il est temps d’agir.
Alexis Legault
Médiagraphie
(1) HUOTLE. A. « Éco-anxiété : quand le changement climatique nous envoie chez le psy », L’AND, 2019. https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/usages-et-style-de-vie/eco-anxiete-changement-climatique-psy/
(2) RO. C. « The harm from worrying about climate change », BBC, 2019. https://www.bbc.com/future/article/20191010-how-to-beat-anxiety-about-climate-change-and-eco-awareness
(3) HUOTLE. A. op. cit.
(4) CHABAL. A. « Les 100 Entreprises Responsables Du Réchauffement Climatique », Forbes, 12 juillet 2017. https://www.forbes.fr/classements/100-entreprises-responsables-rechauffement-climatique/?cn-reloaded=1